SERER ET WOLOF

SERER ET WOLOF
SERER ET WOLOF

Les Serer (Sérères) et les Wolof (Ouolofs) sont les deux groupes ethniques les plus importants du Sénégal (en 1981, sur les 5 millions d’habitants du Sénégal, le tiers était des Wolof; le cinquième des Serer). Les Serer vivent au sud de la voie ferrée Thiès-Diourbel jusqu’aux rives du fleuve Saloum. Les Wolof occupent le nord-ouest du Sénégal et entourent, à l’est et au sud, le pays serer. Il nous a paru nécessaire de décrire simultanément ces deux ethnies: leurs langues et leurs cultes se ressemblent, leurs histoires se confondent souvent. Elles furent et demeurent voisines, plus fréquemment hostiles qu’amicales.

Histoire

Selon les traditions locales, les Socé, une tribu d’origine mandingue, furent les premiers habitants du Sénégal. Vers le XIIe siècle, les remous provoqués par la chute de l’empire du Gh na, vaincu par les Almoravides, poussèrent les Serer à quitter la vallée du Sénégal où ils étaient installés depuis longtemps. Ils se dirigèrent vers le sud, faisant pression sur les Socé. Venant du nord-est, les Wolof s’établirent entre le XIIe et le XVe siècle dans la région du Dyolof. À partir de ce centre, ils constituèrent un empire où vivait une population hétérogène comprenant des Toucouleur (qui sont des Peuls sédentaires), des Peuls, des Socé, des Sarakole, des Maures, des Bambara et des Serer. La langue parlée dans cet empire était dérivée du serer et enrichie d’apports peuls. La domination wolof s’étendit aux dépens de celle des Toucouleur du Tekrour. Une légende rapporte que l’aspect inhabituel du premier souverain wolof, le Bourba Dyolof , issu d’une mère toucouleur et d’un père arabe, arracha un cri de stupéfaction à un devin serer qui était consulté à son sujet. Cette exclamation: N’Diadian N’Diaye ! est devenue le nom de ce personnage légendaire auquel remonte la dynastie des N’Diaye. Celle-ci régna sur l’empire wolof qui, en 1549, se scinda en quatre unités politiques autonomes: le Dyolof, le Walo (ou Waalo), le Cayor et le Baol.

Les Serer qui ne voulurent pas se soumettre à l’empire wolof continuèrent leur marche vers le sud. Ils s’établirent dans la région qu’ils occupent actuellement. Dans le pays des fleuves Sine et Saloum, ils formèrent deux royaumes, le Sine et le Saloum, dont les dynasties apparentées sont d’origine socé. Les descendants de ces conquérants constituent l’aristocratie des Guelowar.

Organisation sociale et politique

La société traditionnelle wolof comprenait trois strates hiérarchisées. La classe supérieure est celle des hommes libres (diambour ). Elle englobe la noblesse (garmi ), les paysans libres (badolo ), les marabouts (sérigne ). La noblesse est composée des lignages royaux, des familles de dignitaires (chefs de province et cadres militaires). La seconde strate est celle des artisans à spécialisation héréditaire: griots (gewel ), tambourineurs, forgerons et orfèvres, cordonniers, tisserands, travailleurs du bois à la vie itinérante. Les esclaves constituent le troisième niveau de la société wolof. Ils sont soit esclaves domestiques (ou captifs de «case»), soit esclaves de la couronne. Les premiers mènent une vie semblable à celle de leurs maîtres, les seconds sont des guerriers (tiedo ) qui vivent de butin et de pillage et se confondent, aux yeux des paysans, avec l’aristocratie dont ils servent les intérêts. Ils avaient un chef, à la fois dignitaire et esclave. La croyance dans le fait que la trahison de ce chef devait entraîner la perte du royaume est un indice de l’importance de ces esclaves guerriers.

Ces strates sociales peuvent être dites castes, car elles étaient endogames et fermées. De l’une à l’autre il n’y avait pas de passage possible. Le roi lui-même ne pouvait anoblir un homme né à un niveau social inférieur. Le statut de descendant d’esclave s’est maintenu jusqu’à nos jours et l’endogamie des castes (qui ont toutefois tendance à disparaître) a été renforcée par l’islam.

Pendant longtemps les marabouts ont constitué le seul groupe social lettré. Savoir lire et écrire leur conférait grand prestige auprès de l’aristocratie animiste. Des terres leur étaient octroyées par celle-ci. Ils défendaient habituellement les paysans contre les exactions des guerriers-esclaves. Cette attitude protectrice prépara la voie à l’islamisation de toute la population.

En pays serer, une stratification analogue existait au Sine et au Saloum. La noblesse ne comprenait qu’un seul groupe héréditaire, celui des Guelowar. Dans ce groupe, la filiation était matrilinéaire. Un deuxième groupe, la paysannerie libre, contrôlait les biens fonciers et dominait les agriculteurs-tenanciers qui formaient le troisième groupe. Les paysans serer étaient des producteurs très efficaces; ils excellaient dans les techniques d’élevage et d’agriculture. La sédentarisation et l’occupation intensive des terroirs apparaissent dans le paysage serer: on le compare souvent à un parc. L’élite paysanne, dont les ascendants étaient déjà installés avant l’arrivée des Guelowar, était constituée par les maîtres de la terre, les lamane . En eux se perpétuait le souvenir des premiers occupants de la terre et de leurs droits sur le sol.

Dans le Sine et le Saloum, une organisation politique et militaire se superposait à la paysannerie serer. Au sommet se trouvait le bur . Il était élu par un conseil restreint. Son choix devait être approuvé par deux dignitaires représentant ses sujets (ces deux dignitaires avaient été eux-mêmes nommés par le souverain précédent). Le bur, qui n’était pas d’origine paysanne, était donc «étranger». Pour cette raison, il n’était pas un personnage sacré, mystiquement lié à la terre; son pouvoir était purement politique et profane. Le souverain était chargé d’assurer la paix et la sécurité, tâche qu’il confiait à des spécialistes, des guerriers qui n’étaient pas non plus des paysans serer. De même que la défense et l’administration étaient assurées par des étrangers, la garde des troupeaux était confiée par les Serer à des bergers peuls. Le souci de la division du travail avec des ethnies complémentaires paraît caractériser les Serer.

Droit foncier

Chez un peuple aussi absorbé par le souci de la terre que l’étaient les Serer, les droits fonciers étaient bien définis. En dépit de son caractère laïc et à cause de son caractère royal, le bur attribuait des «lamanats» à de riches paysans qui devenaient ainsi ses alliés et lui devaient une redevance en têtes de bétail. En général, l’investiture se faisait selon le droit du feu: on allumait un feu de brousse et toute la surface brûlée constituait le domaine du nouveau lamane. Dans quelques cas rares, on avait recours au droit du sabot qui était supérieur à celui du feu: ce privilège était accordé à un proche parent du roi ou à un favori particulièrement bien en cour. À ce privilégié revenait la surface de terre qu’il avait pu circonscrire à cheval en un temps donné.

Le lamanat se transmettait matrilinéairement: à l’aîné des neveux maternels du lamane. Considéré comme un bien collectif et non individuel, le domaine n’était jamais partagé. Sur son domaine, le lamane concédait à d’autres paysans libres, le plus souvent chefs de famille, le droit de défricher, ou droit de la hache. Le bénéficiaire de ce droit, ou maître de la hache, pouvait prêter un terrain à des paysans sans terres. À ces différents niveaux d’octroi de droits fonciers, la parenté jouait un rôle essentiel: on prêtait de préférence à des proches parents en qui on avait confiance.

Dans le régime foncier, un rôle essentiel était joué par le kaïnak . Fonctionnaire à charge héréditaire, le kaïnak était à la fois généalogiste, notaire et gardien d’un cadastre oral. Ayant la confiance du lamane, il intervenait dans tous les litiges, aussi bien entre lamane et maîtres de la hache qu’entre maîtres de la hache et paysans bénéficiaires d’un prêt foncier. Sachant qui avait reçu les terres et de qui, il était à même de trancher les éventuels différends entre les descendants des deux parties. Il portait à la connaissance de tous les limites de chaque champ; il pouvait être consulté à tout moment sur les droits fonciers de chaque individu.

Bien collectif, la terre était inaliénable. Le lamane, le maître de la hache, le chef du groupe domestique n’en étaient que les dépositaires ou gardiens. La notion occidentale de propriété était inconnue.

Production et subsistance

Les conditions climatiques du pays wolof sont peu favorables. Les précipitations moyennes sont faibles, et les pluies varient fortement d’une année à l’autre. Les récoltes sont menacées tantôt par la sécheresse, tantôt par l’inondation. Le pays serer, situé plus au sud, bénéficie d’un régime de pluies plus régulier. Il a été déforesté, mais aussi méthodiquement reboisé. Les terroirs y sont stables et permanents. Chez les Wolof, au contraire, les défrichements se sont poursuivis d’une manière moins contrôlée.

Les deux peuples tirent leur subsistance de l’agriculture. Du point de vue alimentaire, la culture principale est celle du millet. L’instrument aratoire traditionnel est l’iler , houe à ailerons bien adaptée aux sols sablonneux qu’elle ne remue pas trop profondément. Depuis la colonisation, la culture commerciale de l’arachide a pris une grande importance, surtout chez les Wolof qui, pour cette raison, tendent à négliger les récoltes traditionnelles et à promouvoir cette culture sur de nouvelles terres. Les Serer ne font qu’ajouter l’arachide à leurs semis habituels.

Religion

Le paysan serer entretenait avec la terre des relations complexes et intenses, allant du magique au religieux. Sous la terre vivaient les pangol , âmes des ancêtres. On considérait que la société des vivants devait être constamment en rapport avec la société des pangol dont elle était le calque. Les pangol étaient consultés et honorés en toutes circonstances. Chaque année, avant l’hiver, avait lieu une chasse sacrée à laquelle tout le village participait; elle avait pour but de rendre les pangol favorables; certains signes, pendant le déroulement de la chasse, permettaient aux devins de prévoir la qualité de la prochaine récolte. En outre, chaque champ avait un génie propre dont il portait le nom, celui du premier homme qui l’avait défriché. Chaque acte du cycle agricole était pourvu d’un génie tutélaire, objet d’un culte spécifique. Les Serer, fort traditionalistes, ont résisté dans une large mesure à l’islamisation.

Les Wolof, au contraire, se sont tournés massivement vers l’islam à la fin du XIXe siècle. Cette conversion fut principalement l’œuvre de la confrérie des Mourides, fondée par le marabout Ahmadou Bamba, né en 1850 dans le Cayor. Formé à la théologie par Cheikh Sidia, maître de la Q diriya, installé à Tindouja en Mauritanie, il fut investi par lui de la charge de khalife en pays wolof. Sa réputation lui attira rapidement de nombreux fidèles avec l’aide desquels il fonda un premier village. Son pouvoir spirituel lui valut la soumission totale de ses fidèles, les talibe , recrutés surtout parmi les paysans qui ainsi échappaient aux exactions de la noblesse. Cela donna au mouvement, dès le début, une portée politique. Ces hommes qui ne reconnaissaient d’autre pouvoir que celui de Dieu furent rapidement considérés comme des anarchistes tant par la noblesse que par l’administration coloniale. Cette dernière s’en prit au prophète: il fut exilé au Gabon en 1895. Il en revint en 1902, ayant approfondi sa doctrine, ayant poursuivi son effort ascétique; auréolé de sainteté, Ahmadou Bamba vit son prestige grandir. Pour adapter les moyens de sanctification aux conditions variées de ses disciples, il ajouta à la prière et à l’étude le travail. Ses talibe mettant toute leur ferveur à défricher, il se trouva bientôt à la tête d’une puissance économique considérable.

Le mouridisme connut un grand succès qui s’explique en partie par le fait qu’il assimile à l’islam certaines valeurs traditionnelles wolof telles que la noblesse reconnue au travail de la terre. Les mourides reprirent aussi dans leur système d’éducation des jeunes les classes d’âge qui existaient traditionnellement chez les Wolof. Actuellement, l’institution mouride a une importance religieuse et économique. Grâce à la générosité des fidèles, l’élégante mosquée de Touba a été élevée sur le tombeau du fondateur.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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